Fidélité d'un artiste à sa galerie et de celle-ci envers son artiste : la Galerie Jacques Cerami et Thierry Tillier la jouent en duo gagnant depuis vingt ans.
Le collage est un art délicat et fragile. Visuel et tactile tout en même temps. Loin d'être simple, sinon simpliste, il est la résultante d'un regard avisé sur des images qui s'entrechoquent, parfois se répondent utilement et, parfois, quémandent de l'amateur une perspicacité et un sens de l'image bien souvent à des lieues de la trop facile perception des choses.
Actif depuis 1975, ce natif de Charleroi, où il vit le jour en 1957, est profondément ancré dans sa région, laborieuse et féconde, son œuvre en portant, quelque part, les stigmates. Engagé, comme on peut l'être quand on bouleverse les attendus trop courants par des allusions, voire, ici et là, des professions de foi qui, loin d'avaliser comme un trésor l'image trop évidemment artistique, Tillier la joue aussi politique. Sans jamais passer du coq à l'âne, il traque les approches frondeuses, souvent à double sens, parfois même à contresens. Tout est, pour lui, matériel à ne pas négliger, telle pièce emblématique de l'histoire de la peinture pouvant fort bien se retrouver enchâssée entre un découpage hétéroclite et, exemple de contrebande, le visage d'une collection de vignettes autour des mixités de la planète.
L'amour, plus fort que tout, clament les artistes
De vieilles cartes postales font aussi son affaire et la photo d'un Apollon grec peut fort bien côtoyer une bouche pulpeuse. À nous d'en démêler les éventuels sens sous-jacents.
Dans cette foisonnante exposition, étalée comme un bric-à-brac sur fond de mur blanchi, accueillant pour un ensemble à ce point anarchique et pourtant empli d'émotions (la charge de la fuite du temps), on trouve forcément de tout et, prioritairement, cette sensation de pouvoir faire son beurre du tout-venant.
Certains des collages sont bien encadrés quand d'autres sont seulement épinglés, le tout s'accordant, à bon escient, à nous surprendre. Et la surprise, en art plus qu'ailleurs, s'avère féconde à son tour. Des reproductions de portraits du XVe italien, de Botticelli notamment, s'acoquinent avec une vue de l'Expo de Charleroi de 1913, que jouxte celle d'un intérieur typique des années 50. Tillier bouscule l'histoire, l'appréhende à sa façon. Des petites photos, aux bords découpés, de ces mêmes Fifties, sont, avec lui, de mèche avec l'image très actuelle d'une belle capturée sur fond de décor marin quand, ailleurs, sans raison trop apparente, les haubans de voiliers au port s'acoquinent avec à peu près n'importe quoi. Une image Dada de 1920 convole, autre saugrenu de mise, avec celle d'une femme en tenue d'Eve et qui fume. Ailleurs, la bouche bien rouge d'une belle inconnue se retrouve surmontée d'une éponge passée au bleu Klein. Et Picasso, Broodthaers, Ensor ou Kandinsky, dans le désordre, se retrouvent en embuscade sur fond de Palais de Néron. Il y a donc, dans cette exposition très ludique, un charivari d'images en apparence sans queue ni tête. C'est aussi ce qui fait le bonheur d'un accrochage en lequel chacun peut faire main basse sur une image qui lui parle sans autre raison que celle d'être une image empreinte d'un sens inédit, très particulier.
La barque des voyages
Par ailleurs, Thierry Tillier aime voyager. Une barque à fond plat, trouvée aux Puces, en est le symbole farfelu quand elle se trouve posée sur un jeu de cartes géographiques sans qu'aucun lien de proximité ne les accorde entre elles. On passe ainsi de l'Allemagne du Nord à l'Afrique du Sud, de l'Océanie à l'Autriche. Mixant aussi des données qui n'ont rien à voir entre elles, sur une autre carte, Tillier a posé des soldats qui ont fait l'histoire à leur façon. Cet imbroglio de repères a sa justification : il évoque de la sorte le problème ou l'histoire des migrations. À chacun d'y trouver sa propre voie. Cette installation – la barque, les cartes géographiques, les races du monde, les guerres et leurs combattants – est, bien évidemment, le clou d'une exposition aux multiples entrées et sorties, chaque visiteur étant invité à s'y positionner comme il l'entend.
Roger-Pierre Turine
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